Aïssatou Sidibé, 39 ans, est infirmière-clinicienne. Dans le milieu de la santé depuis quinze ans, en France puis à Montréal, elle a travaillé dix ans en cardiologie avant de se tourner vers la gynécologie, il y a un an.
À la fois infirmière patiente, elle a été diagnostiquée avec des fibromes utérins. « C’est une masse non cancéreuse qui se trouve au niveau de l’utérus, à plusieurs emplacements. Cette masse peut être complètement asymptomatique, mais lorsque ses symptômes deviennent handicapants, ils peuvent être très gênants pour les femmes », explique-t-elle. Parmi ces symptômes, des saignements abondants, une pesanteur abdominale, une masse dure. « On a toujours vécu avec cette idée que si tu saignes, c’est normal, ce sont tes règles, mais on n’a jamais défini la limite entre ce qui est normal et ce qui n’est pas normal », déplore-t-elle.
Jamais elle n’aurait « enlevé la maison de ses enfants »
Mme Sidibé espère une évolution au niveau de la médecine qui pourra apporter des solutions moins douloureuses et moins traumatisantes. Au Canada, une femme sur quatre décide d’opter pour l’hystérectomie, d’où l’importance du droit à l’information éclairée pour connaitre toutes les options sur la table. Une patiente atteinte de quatre fibromes utérins et qui a subi une hystérectomie dans les années 90 a d’ailleurs confié à Aïssatou que si elle avait su qu’il y avait d’autres techniques, d’autres moyens, d’autres traitements à son époque, jamais elle n’aurait « enlevé la maison de ses enfants ».
Aïssatou en a fait sa mission de vie de sensibiliser le monde entier sur cette maladie gynécologique peu connue. « Tant et aussi longtemps qu’on ne trouvera pas de remèdes efficaces à tous les niveaux sur ce fibrome utérin, le combat continuera », dit-elle. « De la même façon que l’on demande l’égalité hommes – femmes au travail, au niveau de la santé c’est exactement la même chose. Le milieu gynécologique a été très longtemps tenu par des hommes gynécologues. C’est la nouvelle génération de médecins, d’infirmières, de préposées qui osent dire les choses et qui disent : Ça suffit ! », ajoute-t-elle.
Ce que nous mettons dans nos cheveux, sur notre peau, nos émotions ou encore ce que nous mangeons ont un impact sur les fibromes utérins. Pour les femmes noires, une étude avait été faite en 2012 sur les produits défrisants et leurs effets sur le cuir chevelure qui brûlait mais cette étude n’a jamais été prouvée. Aux États-Unis, la santé capillaire a permis de trouver des solutions et a engendré tous les mouvements nappy pour éliminer ces produits de notre corps.
Au niveau des demandes de financement, l’enjeu est le même. « Si demain, je demande du financement pour de la recherche sur les fibromes utérins, et qu’en face, il n’y a que des hommes qui ne connaissent rien de la pathologie et de ses enjeux, et c’est déjà arrivé, on n’aura pas ce financement. On ne l’aura pas », renchérit-elle.
Son combat, Aïssatou le mène notamment en dehors des murs de l’hôpital. En 2016, elle crée
l’association Vivre 100 Fibromes, formée d’une petite équipe de bénévoles, qui prépare les femmes atteintes de cette pathologie pour leurs consultations. « La pandémie a fait en sorte qu’on a créé d’autres voies, d’autres issues. Et ça, c’est une bonne chose. Des femmes avec des fibromes utérins de deux centimètres, avec le stress, l’isolement, l’hygiène de vie qui a eu un impact, certaines femmes ont vu leurs fibromes tripler de volume. Et là, on y allait par priorité. Et c’est pour ça que le milieu associatif est extrêmement important parce que si à l’hôpital, les portes ferment, qui prend le relai ? Et Vivre 100 Fibromes, on est contents parce qu’on a continué à vivre, à exister ». Vivre 100 Fibromes peut servir de modèle pour d’autres pathologies. « C’est important que chaque pathologie puisse avoir un espace où les femmes peuvent se référer au-delà de l’hôpital », pense-t-elle.
Aïssatou est également autrice et avec son amie et collègue Marie-Josée Thibert, elles cosignent un livre à deux voix intitulé « Endométriose et fibrome utérin : De la souffrance à l’action », aux éditions Trécarré. « Depuis toute petite, j’ai toujours été une passionnée de littérature. Je trouvais qu’à l’époque, j’avais des choses à dire, sur mon enfance. Et donc je me suis dit que grande, quand j’aurai la possibilité, j’écrirai un livre sur mon histoire, qui je suis, où je vais, pour éclairer certaines choses », confie-t-elle.
L’écriture de ce livre, je l’espère aura un impact sur les jeunes filles, auprès des professionnels de la santé, de la recherche
Lorsqu’elle a rencontré une éditrice lors d’un événement, elle lui a foncé dessus et a provoqué le destin. Concours de circonstances, cette éditrice, qui avait sollicité Marie-Josée Thibert, atteinte d’endométriose, pour écrire sur le sujet s’est dit : Pourquoi ne pas jumeler ces deux pathologies ? Même si l’endométriose et le fibrome utérin sont deux pathologies totalement distinctes, au niveau des symptômes, elles partagent plusieurs similarités.
« C’est l’une des plus belles choses qui me soit arrivé dans ma vie, l’écriture de ce livre. Pour moi, c’est une fierté d’avoir pu être éditée et d’avoir mis en œuvre ce livre-là. Et d’un point de vue thérapeutique, ça m’a fait du bien, parce qu’à l’aube de mes 40 ans, j’ai donné naissance à ce petit bébé, qui je l’espère aura un impact sur les jeunes filles, auprès des professionnels de la santé, de la recherche. »
Avec l’association, elle va créer son propre comité scientifique, avec six gynécologues de partout au Québec pour faire avancer les choses. L’idée est de créer des ponts entre différentes instances, le communautaire, la recherche, le milieu médical, car c’est justement ce qui manque. Le travail en silo ne fonctionne plus.
Aujourd’hui, Aïssatou se sent alignée, bien dans sa peau, dans son corps. « Si j’ai un message à donner à la population, c’est de sortir des sentiers battus. Quand j’ai créé l’association, tout le monde autour de moi me disait : Mais c’est quoi ta vision ? Quelle que soit la pathologie, l’enjeu, la situation, sortez des sentiers battus, et vous verrez que vous allez créer votre propre chemin. Il se dessinera tout seul. Aujourd’hui, je suis fière de ne pas avoir écouté certaines personnes, je ne serais pas où je suis. »
Sandra, Journaliste
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